Mon premier article sur ce blog se termine par une prophétie : ce vélo vintage est le premier, mais certainement pas le dernier de ma collection. Séduit par le style et le confort de ces anciens cadres en acier, il ne faut en effet que quelques mois avant que je ne fasse une deuxième acquisition.
Je repère sur Marketplace un cadre Colnago Master à vendre au prix de 400 euros, à une vingtaine de kilomètres de chez moi.
Colnago
La marque prend simplement le nom de son fondateur, Ernesto Colnago. D’abord mécano de Fiorenzo Magni et Gianni Motta dans les années 50 et 60, Colnago devient ensuite le constructeur attitré du Cannibale Eddy Merckx. Le record de l’heure à Mexico est battu sur un vélo Colnago. Colnago équipe diverses équipes professionnelles à partir des années 1970, l’apogée en termes de victoires et de notoriété étant atteinte sous les couleurs de Mapei. Quand j’étais gamin, Museeuw, Steels, Tafi, Vandenbroucke ou encore Bettini roulaient tous sur Colnago.

Le Master, c’est le haut-de-gamme des cadres en acier de la marque depuis les années 80. Un cadre reconnaissable au premier coup d’oeil grâce à ses tubes Columbus Gilco « en étoile », pour une rigidité accrue. Des tubes conçus par Gilberto Colombo, précédemment connu pour avoir travaillé sur les châssis de Ferrari et Maserati (1), rien que ça.
Lorsque je me déplace pour voir le cadre, le vendeur m’indique l’avoir repeint en bleu ciel avec l’aide d’un ami carrossier pour le faire ressembler à un Arabesque. Sorte de licorne parmi les vélos vintage, aussi rare que cher (dans sa version originale, il existe des rééditions), le Colnago Arabesque se distingue par des pattes de cadre (les pièces à la jonction des tubes d’acier) extravagantes, découpées en forme de flammes.

J’aurais préféré un rouge Saronni, du nom du champion de l’écurie Colnago dans les années 80, mais soit. Le cadre est authentique et en bon état, le vendeur – un retraité qui doit dégraisser sa collection après avoir dépensé 5000 euros en vélos et pièces divers – m’inspire de la sympathie et la perspective d’un assemblage sur-mesure m’excite. Affaire conclue !

Le revendeur m’indique que le cadre date de 1987. A prendre avec des pincettes car il n’est pas le premier propriétaire et n’a gardé aucune photo du vélo avant démontage. Même si je m’oriente vers un montage néo-rétro, une datation précise m’intéresse. Et ce n’est pas une mince affaire, malgré le remarquable travail de fans, comme ce collectionneur américain qui a compilé toutes les évolutions du Colnago Master en 35 ans d’existence (2).
Plusieurs éléments correspondent en effet à la fin des années 80, mais après 1987 : le trèfle gravé sur les haubans est apparu en 1988 ; la fourche droite « Precisa », les pattes de cadre à trois pointes et les attaches pour un deuxième porte-bidon sont visibles pour la première fois dans le catalogue de 1989, année où Colnago inaugure la deuxième génération du Master, le Master Più, avec routage interne du câble de frein arrière dans le tube horizontal.
Chez moi par contre, le câble est tendu au-dessous du tube horizontal, entre deux passe-câbles tubulaires soudés à la gauche du tube. Cette configuration m’intrigue, car elle ne correspond ni au « Più », ni au Master de première génération, où le câble passe par quatre anneaux au-dessus du tube horizontal. On retrouve en fait cet agencement sur des cadres beaucoup plus récents, mais aussi sur les vélos des équipes professionnelles du début des années 1990. Je découvre par exemple les mêmes passe-câbles sur ce Master de 1991 ayant appartenu à Edwig Van Hooydonck (3) :

Sous la peinture refaite apparaissent des éclats du coloris original : du rouge et du jaune fluo. Les couleurs de l’équipe italienne Ariostea qui roule sur Colnago de 1991 à 1993. Je tiens le bon bout. Une recherche sur le site de l’agence Fotoreporter Sirotti, une mine d’or avec près d’un million d’images, m’indique que je suis en possession d’un cadre similaire à ceux utilisés par Ariostea en 1992 et 1993 (en 1991, le top tube est entièrement rouge).
Sans doute une réplique construite pour un coureur amateur, comme l’indique le moignon d’un porte-plaque, scié avant que le vélo ne soit repeint, à l’avant du tube horizontal. Il sera difficile d’en savoir plus, en l’absence de numéro de série, habituellement gravé sur la patte de dérailleur. Il n’est en tous cas pas étonnant de trouver de multiples différences avec le modèle du catalogue, Colnago étant un constructeur artisanal qui, jusqu’il y a peu, manufacturait l’entièreté de sa production dans l’usine historique de Cambiago (l’assemblage des vélos carbone est maintenant délocalisé à Taïwan).
Je décide donc d’équiper prioritairement le cadre avec des composants italiens de la décennie 90, en y ajoutant si nécessaire des éléments neufs pour un bon compromis entre authenticité, prix et performance.
Je trouve sur Ebay un groupe Campagnolo Chorus complet, certes un peu plus récent que le cadre (4), mais offrant 9 vitesses et en excellent état. J’y ajoute une selle San Marco de 2004, réplique de la légendaire Regal, la selle préférée de nombreux coureurs dont Tom Boonen qui a toujours couru sur ce modèle, fut-ce au nez et à la barbe de ses équipementiers officiels (5). Je pioche chez Cinelli pour le guidon et Elite pour le porte-bidon, deux marques italiennes qui rééditent leurs classiques. Seule infidélité à la Botte, les pédales, produites par les Japonais de MKS pour le tiers du prix d’une paire de Campagnolo d’époque. Pour terminer, j’ai l’intention d’adapter pour le montage une paire de roues Fulcrum contemporaines mais la suite du projet en décidera autrement.
Les Achats
- Cadre Colnago Master (1930 g) et fourche Colnago Precisa (733 g) € 400
- Jeu de direction Campagnolo Record (114 g) € 35
- Groupe Campagnolo Chorus 9v € 360
- Poignées Ergopower Campagnolo Chorus (2 x 190 g)
- Dérailleur arrière Campagnolo Chorus (245 g)
- Dérailleur avant Campagnolo Chorus (87 g)
- Pédalier Campagnolo Chorus double 52-39 (441 g)
- Manivelles Campagnolo Chorus 170 mm (gauche : 216 g)
- Boîtier de pédalier Campagnolo (225 g)
- Vis de fixation pédalier Shimano Dura Ace (sic) (17 g)
- Chaîne Campagnolo Chorus (280 g)
- Freins Campagnolo Chorus (avant : 193 g ; arrière : 189 g = usure patin)
- Butées de câbles (25 g)
- Tige de selle Campagnolo 27.2 (240 g)
- Roues Campagnolo Vento (avant : 980 g ; arrière : 1290 g) € 360
- Cassette Campagnolo 9v 13-26 (327 g)
- Selle San Marco Regale Racing Replica (292 g) € 129

- Câbles et gaines de freins et dérailleurs Campagnolo Ergopower Ultra-Shift € 33,50
- Vis de serrage tige de selle Procraft € 2,54
- Guidoline Cinelli Caleido noire (89 g) € 25,37
- Pneus Veloflex Master 23 (2 x 195 g) € 50,82
- Chambre à air Vittoria Latex (2 x 73 g) € 21,36
Sur Lordgun :
- Corps de roue libre Fulcrum 17 mm € 62,90*
- Cassette Miche Primato 9v 13-26 € 25,80*
- Pédales MKS Sylvan Road (2 x 175 g) € 25,90
- Potence Cinelli A1 110 mm (324 g) € 58,49
- Cintre Cinelli Giro d’Italia 64 42 cm (280 g) € 56,44
- Porte-bidon Elite Ciussi (50 g) € 15,20
Chez SDR Bikes :
- Sonnette Basil Portland Bell Brass (89 g) € 9,99
Poids total : 10,050 kg, soit environ 128 g pour les composants non pesés (câbles et gaines, vis de serrage de la tige de selle).
Prix total : € 1583,61 excluant les articles marqués d’un astérisque (*) qui seront écartés du montage – voir plus loin.
À la fin de cette séance de shopping, la note s’élève donc à près de 1600 euros. Cela peut paraître élevé car certaines pièces se paient au prix fort si, comme moi, on est un peu pressé et inexpérimenté. Mais avec un peu de patience et d’oeil, on finit par repérer des vélos complets vendus pour la valeur des roues ou du groupe. Il faut aussi souligner qu’il s’agit d’un cadre et de composants haut-de-gamme, amenés à durer de nombreuses années.
Le montage
J’ai envie de monter moi-même toutes ces pièces sur le vélo mais je découvre très vite une autre pompe à fric : l’outillage. À chaque marque, époque ou pays ses standards. François de Belgiantri Bikes me confirme avoir dépensé plus de mille euros en outils au début de son activité …
Après avoir monté le porte-bidon, je me tourne donc vers un professionnel. Belgiantri Bikes étant en pause à ce moment-là pour cause de travaux à l’atelier, je me tourne vers un vélociste, distributeur Colnago dans ma région. Celui-ci me confirme pouvoir monter et régler le vélo pour un prix très raisonnable et je dépose toute les pièces à l’atelier au début du mois de février.
Je vous passe les épisodes suivants, promesses non tenues et excuses bidon (normal pour un marchand de vélo, me direz-vous). Toujours est-il que je récupère le cadre et l’ensemble des pièces détachées cinq semaines plus tard. En l’état, ou presque : il manque le capuchon du moyeu de ma roue arrière, un détail qui m’échappe sur le coup mais qui a son importance dans le projet, on le verra.
Entre-temps, Belgiantri Bikes a repris son activité et après avoir restauré mon Bianchi, François accepte volontiers de s’occuper du Master.
Nous observons ensemble le cadre, il déplore le choix des décalcomanies blanches, trop peu contrastées par rapport à la peinture bleu pâle, et propose d’au moins repeindre les trèfles en noir pour rendre un peu de son côté agressif à ce coursier.
Il m’annonce assez vite ne pas pouvoir monter la cassette 9 vitesses sur ma roue arrière, le capuchon manquant ne permettant pas de serrer le corps de roue libre Campagnolo. À ce jour, je suis toujours sans nouvelles de cette pièce, sans doute perdue par le vélociste, et ma roue reste inutilisable.
Je décide à ce moment-là de chercher un autre jeu de roues, d’époque cette fois-ci, si possible déjà monté à l’arrière avec une cassette Campagnolo 9 vitesses pour assurer la compatibilité avec le groupe sans bricolage supplémentaire.
L’icône du début des années 1990, c’est la Campagnolo Shamal (6). Reconnaissable au premier coup d’oeil avec ses hautes jantes en aluminium poli, la Shamal est la première roue aérodynamique produite en série pour un usage sur tous les terrains, et plus seulement en contre-la-montre.
Je craque pour une paire de Campagnolo Vento, même look ravageur, moins chères mais un peu plus lourdes. Elles ont la réputation d’être des roues rapides, une fois lancées. Je m’imagine déjà sur la longue ligne droite qui m’emmène au travail.

J’y ajoute des pneus Veloflex, marque italienne créée par des anciens de chez Vittoria soucieux de préserver une fabrication manuelle en Italie. Le Veloflex Master (tiens tiens) 23mm est un pneu de type « boyau ouvert » à flanc crème, réputé pour son confort et sa performance.
Le montage ne pose pas de gros souci, tout au plus une pièce de l’ancienne potence coincée dans le tube de direction à déloger au prix de quelques contorsions. Quinze jours plus tard, me voilà prêt à monter la bête !
Le vélo

Que dire de ce Master ? C’est en effet une bête de course, nerveuse mais confortable. Les roues aérodynamiques, en plus d’être un élément essentiel du style de ce vélo, ont aussi une grande influence sur son comportement routier. Il faut un peu de jambes pour lancer le Master à pleine vitesse, mais il est ensuite difficile de l’arrêter. En côte par contre, les quelque dix kilos, dont deux dans les roues, se font sentir et sont sans pitié pour votre allure en cas de coup de mou. Sans surprise les jantes hautes sont sensibles au vent de côté, mais sans que cela m’ait paru dangereux jusqu’à présent.
Les pneus Veloflex et les chambres à air en latex sont un vrai plus en termes de confort et de rendement. Revers de la médaille, ils sont fragiles. Une première crevaison au bout de 350 kilomètres m’a déjà obligé à remplacer le pneu avant, lacéré.
Le bilan : le Colnago Master est un superbe vélo qui attire les regards. Performant sur le plat, il montre toutefois ses limites sur terrain vallonné ou lors d’une sortie de groupe avec des collègues équipés de cadres carbones. Il faut être honnête, les jambes ne font pas tout et les avancées techniques des trente dernières années sont réelles. Un petit bijou à réserver aux balades du dimanche et aux grandes occasions donc, vu la valeur du montage il serait dommage de l’user sur des trajets domicile-travail quotidiens.
Jonathan Quique ©VELOGEEK.BE 2019
1. Gilberto Colombo (gilcodesign.com)
2. Compiled research for the steel-loving tifosi: colnago master family tree (forums.thepaceline.net)
3. Andre Haak’s 1991 Colnago Master: Tall cool one (Handbuilt Bicycle News)
4. Les groupes 9 vitesses sont introduits en 1997 et remplacé par les 10 vitesses à partir de 2000 (Wikipédia).
5. Le vélo de Tom Boonen (rouesartisanales.com)
6. Icons of cycling: Campagnolo Shamal wheels (Cycling Weekly)